Histoire curieuse et pittoresque des sorciers, devins, magiciens…

Histoire curieuse et pittoresque des sorciers, devins, magiciens…
Les chemins de l’ésotérisme sont jalonnés de figures, d’ombres et de lueurs vacillantes, où le regard scrutateur du chercheur s’efforce de distinguer l’illusion du réel, la légende du symbole, le conte populaire de l’archétype immémorial. L’ouvrage de Mathias de Giraldo, dominicain et ancien exorciste de l’Inquisition, nous convie à une pérégrination érudite et parfois vertigineuse dans le dédale des pratiques magiques et des figures occultes qui ont façonné l’histoire des civilisations. Ce texte, paru en 1846 et revu par M. Fornari, est un monument d’érudition, mais aussi un miroir tendu vers nos propres représentations du sacré et du profane, où l’Initié peut discerner, au-delà des récits pittoresques, les échos d’un autre savoir. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’étrange tension qui habite l’ensemble du texte. Le religieux y côtoie le païen, l’exégèse rationnelle se dispute avec le fantastique, et l’histoire documentée avec l’anecdote superstitieuse. Mathias de Giraldo, fidèle à son époque et à son habit, adopte une posture ambivalente : il dénonce les pratiques occultes tout en les détaillant avec une minutie qui trahit une fascination contenue. Comme un alchimiste de la parole, il dissèque, dissout et coagule, cherchant à donner forme à un univers foisonnant qui, loin d’être révolu, continue d’influencer les imaginaires. Le voyage qu’il nous propose remonte aux sources les plus reculées de la magie, depuis les chaldéens et les égyptiens, jusqu’aux avatars modernes de la sorcellerie et du magnétisme animal. Le lecteur initié ne manquera pas de reconnaître, sous les atours d’un discours parfois teinté d’inquisition, une vaste fresque où se mêlent traditions ésotériques, survivances initiatiques et dogmes religieux. Les sorciers et devins qui peuplent ces pages ne sont pas de simples figures du folklore : ils sont, à travers les âges, les dépositaires d’un savoir autre, périphérique, rejeté par les clergés officiels mais toujours vivace. Parfois inspirés, parfois charlatans, ils incarnent cette ligne de faille entre le sacré et le tabou, entre la quête de l’absolu et la peur de la damnation. L’auteur, bien que dominicain, ne peut occulter la permanence de ces figures à travers le temps, comme autant d’émanations d’un même besoin humain de sonder l’invisible. Ce qui confère à cet ouvrage un caractère unique, c’est son érudition. Mathias de Giraldo ne se contente pas d’énumérer des faits : il les met en relation, il cherche à comprendre les causes profondes de ces survivances magiques. De la divination antique aux procès de sorcellerie, du sabbat des sorcières aux expériences du magnétisme et du mesmérisme, il dresse une cartographie de l’ombre où se rejoignent la crainte du démon et la soif de connaissance interdite. On peut s’étonner, en lisant cette Histoire curieuse et pittoresque, de la capacité qu’a l’homme de réinventer sans cesse les mêmes rites, d’invoquer des forces sous des noms différents, de croire et de trembler à travers les siècles. L’Initié reconnaîtra ici la manifestation d’une constante universelle : l’homme en quête d’un savoir caché, affrontant les dogmes établis, oscillant entre la lumière de la gnose et les ténèbres de l’interdit. Ce balancement est inhérent à toute démarche initiatique : l’épreuve de la transgression, la mise à l’épreuve du regard social, la tentation du savoir proscrit. Si l’ouvrage de Mathias de Giraldo s’inscrit dans la lignée des textes démonologiques du XVIIe siècle, il dépasse cependant la simple dénonciation inquisitoriale pour entrer dans un registre plus proche de l’anthropologie religieuse. Il y a chez lui une volonté de classification, une tentative de donner un sens aux croyances populaires, un effort pour comprendre ce qui pousse les hommes à se tourner vers ces pratiques occultes. À ce titre, il annonce déjà les travaux plus tardifs de folkloristes et d’historiens des religions. Mais c’est sous un prisme initiatique qu’il convient d’aborder cette œuvre. Le Franc-Maçon, le chercheur de lumière, y verra le reflet d’une problématique essentielle : celle de la transmission des savoirs cachés et de leur réception dans un monde dominé par l’orthodoxie. La figure du sorcier, du devin, du magicien n’est-elle pas l’avatar du Maître des mystères antiques, corrompu et caricaturé par le regard profane ? L’Initié sait que derrière les persécutions et les bûchers se cachent souvent les traces d’un savoir oublié, d’une sagesse enfouie sous les condamnations et les anathèmes. Ainsi, Histoire curieuse et pittoresque des sorciers, devins, magiciens… est bien plus qu’un simple recueil de récits étranges et pittoresques. C’est un livre de seuils et de portes, une invitation à lire entre les lignes, à discerner le fil ténu qui relie la magie ancienne aux quêtes modernes de l’esprit. Il appartient au lecteur de savoir s’il veut s’arrêter à la surface du texte ou plonger dans ses profondeurs, où sommeillent peut-être quelques vérités oubliées. Mathias de Giraldo, religieux dominicain et ancien exorciste de l’Inquisition, est une figure singulière. Si peu d’éléments biographiques nous sont parvenus, son œuvre témoigne de cette position paradoxale qui fut celle de nombreux érudits religieux du XIXe siècle : profondément attaché aux dogmes de son ordre, il n’en était pas moins captivé par ce qu’il dénonçait. L’ambiguïté de son approche transparaît dans son travail, où la rigueur du théologien côtoie l’avidité du collectionneur d’étrangetés. Dans l’histoire de la littérature inquisitoriale et démonologique, son ouvrage se place à la croisée des chemins entre la tradition des Malleus Maleficarum et les premiers balbutiements de l’étude rationnelle des croyances occultes. Son approche analytique et détaillée annonce, sans s’y inscrire pleinement, les futures recherches sur l’anthropologie du sacré. Il nous reste donc de lui ce livre, ce témoignage d’un regard posé sur les ombres, avec toute la fascination inquiète d’un homme de foi qui sait, au fond, que la frontière entre le magique et le sacré est parfois plus mince qu’un trait de plume. Histoire curieuse et pittoresque des sorciers, devins, magiciens… Mathias de Giraldo – M. Fornari – Préface de Stephan Hoebeeck Amici Librorum, 2024, 332 pages, 25 €
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