Yves Bomati, docteur ès lettres et sciences humaines et diplômé de l’École pratique des hautes études, est un historien passionné par les religions et les civilisations orientales, avec un intérêt particulier pour le Moyen-Orient. Auteur prolifique, il a également signé de nombreux ouvrages consacrés à la littérature et à la langue françaises. En collaboration avec Houchang Nahavandi, il a coécrit
Shah Abbas, empereur de Perse, 1587-1629, une œuvre récompensée en 1999 par le prestigieux Prix Eugène-Colas de l’Académie française. Plus récemment, ils ont publié
Mohammad Réza Pahlavi, le dernier shah, 1919-1980, poursuivant leur exploration érudite de l’histoire iranienne.
C’est dans cette continuité intellectuelle et historique qu’Yves Bomati nous livre
L’Âge d’or de la Perse – L’épopée des Safavides (1501‑1722),
un récit passionné et érudit qui saisit avec acuité les multiples facettes de l’Iran sous la dynastie safavide. En évitant la sécheresse des approches purement chronologiques, l’auteur tisse une fresque où la profondeur historique dialogue sans cesse avec une lecture culturelle et spirituelle des événements. L’œuvre s’ouvre sur une réflexion lumineuse et critique, où l’histoire safavide devient le prisme par lequel l’on interroge à la fois l’Iran actuel et les dynamiques universelles des civilisations.

Dès les premiers instants, Yves Bomati plonge le lecteur dans
l’épopée mystique qui précède la naissance de la dynastie. La figure charismatique de Sheikh Safi al-Din Ardabili, fondateur de la confrérie soufie Safaviyya, incarne
la quête d’unité et de transcendance. Cet enracinement dans le soufisme n’est pas anecdotique : il détermine les bases idéologiques, sociales et politiques de la future monarchie safavide. L’auteur met en lumière le rôle structurant des
confréries mystiques dans un Iran déchiré par les invasions et les rivalités claniques. Le soufisme, loin d’être un simple courant spirituel, se révèle un outil d’organisation et de résistance, mais aussi un ferment d’intégration culturelle et de rayonnement politique.
La narration s’élargit pour embrasser la montée en puissance de la dynastie dans un contexte géopolitique tendu. Entourés des Ottomans à l’ouest et des Ouzbeks au nord, les Safavides imposent une vision nouvelle : un État centralisé et unifié, cimenté par l’adoption du chiisme comme religion d’État. Ce choix audacieux, pris par Ismaïl Ier dès son accession au trône en 1501, marque une rupture majeure dans l’histoire iranienne. Yves Bomati parvient à montrer, sans simplifications excessives, combien cette décision fut autant un acte de foi qu’un calcul politique.
Le chiisme devient alors un outil de cohésion nationale, tout en servant de rempart idéologique face aux influences sunnites des puissances voisines.
Le lecteur est ensuite immergé dans l’apogée de la dynastie, incarnée par le règne de Shah Abbas I
er. Visionnaire, stratège et mécène, ce souverain se distingue par son habileté à conjuguer des aspirations contradictoires : modernisation et tradition, ouverture au monde et affirmation identitaire.
Yves Bomati peint avec une richesse de détails l’âge d’or safavide, où la capitale, Ispahan, devient le cœur battant d’un empire en pleine effervescence. L’éclat d’Ispahan, surnommée « moitié du monde », est illustré à travers ses merveilles architecturales, ses échanges commerciaux et ses réseaux diplomatiques qui s’étendent jusqu’aux cours européennes. Mais au-delà de l’apparat, l’auteur dévoile les tensions profondes qui minent cet équilibre. La relation entre le religieux et le temporel, initialement harmonieuse, se complexifie à mesure que le pouvoir des clercs chiites croît, empiétant sur l’autorité royale. Yves Bomati saisit ces dynamiques avec une sensibilité particulière, restituant la lente érosion de l’unité initiale.
La chute des Safavides en 1722, conséquence de faiblesses internes et d’assauts extérieurs, est décrite avec une intensité dramatique. Yves Bomati ne s’attarde pas seulement sur les causes militaires ou politiques de cet effondrement, mais interroge les mécanismes profonds de la désintégration des empires. Il montre comment les Safavides, après avoir incarné une synthèse réussie entre modernité et tradition, succombent à la rigidité d’un pouvoir trop lié aux dogmes religieux et aux rivalités claniques. Cette analyse résonne comme un avertissement universel, soulignant les dangers d’un déséquilibre entre le spirituel et le temporel.
Ce livre transcende son objet initial pour proposer une réflexion plus vaste sur la manière dont les civilisations se construisent, brillent, puis déclinent. L’Iran safavide, sous la plume d’Yves Bomati, devient une allégorie des forces et des faiblesses qui traversent les grandes dynasties de l’Histoire. L’auteur établit des parallèles éclairants avec les Ottomans et les Moghols, tout en explorant les interactions entre l’Orient et l’Occident. L’échange, qu’il soit commercial, diplomatique ou artistique, occupe une place centrale dans ce récit, montrant comment les Safavides surent tirer parti des influences étrangères tout en restant fidèles à leurs racines.
L’écriture de l’auteur, d’une élégance rare, confère à cet ouvrage une profondeur littéraire qui enrichit son propos. Yves Bomati ne se contente pas de décrire des faits ; il leur insuffle une âme, dévoilant les aspirations, les conflits intérieurs et les dilemmes moraux des acteurs de cette histoire. Chaque page témoigne d’un souci du détail, mais aussi d’une capacité à saisir l’essentiel : les Safavides, au-delà de leurs victoires et de leurs échecs, incarnent une quête d’universalité, un désir de concilier le sacré et le profane, l’identité nationale et l’ouverture à l’autre.
L’Âge d’or de la Perse se révèle comme une méditation sur le pouvoir, la foi et le destin des peuples. Yves Bomati nous invite à réfléchir sur les leçons de cette épopée, non seulement pour mieux comprendre l’Iran contemporain, mais aussi pour interroger nos propres rapports à l’identité, à la religion et à la politique.
Un ouvrage magistral qui résonne comme un écho intemporel.
L’Âge d’or de la Perse – L’épopée des Safavides (1501‑1722)
Yves Bomati – Perrin, 2023, 448 pages, 25 € – Format Kindle 16,99 €