Historienne engagée dans l’exploration des seuils entre politique, religion et laïcité, Valentine Zuber éclaire, avec une intelligence rare et une profondeur vibrante, les entrelacs de l’histoire intellectuelle et de la mémoire politique. Directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études, spécialiste reconnue de la liberté religieuse, de la laïcité et des droits de l’homme, elle incarne cette voix singulière où se rejoignent la rigueur académique, le sens du sacré et l’engagement civique. Son œuvre, nourrie d’un héritage protestant assumé, irrigue un champ intellectuel où résonnent les tensions fertiles entre rationalité républicaine et quête d’un humanisme spirituel.Le Culte des droits de l’homme, parmi ses travaux les plus marquants, en constitue assurément une pierre d’angle, un texte phare à la croisée des disciplines et des traditions.
Conf Valentine Zuber La laïcité, un principe de libertéCe soir du 2 avril 2025, dans le Grand Temple Pierre Brossolette, nous avons l’honneur de l’accueillir à l’occasion d’une conférence exceptionnelle organisée dans le cadre de la soirée « Enjeux & Perspectives », placée sous l’égide du Très Respectable Frère Thierry Zaveroni, Grand Maître de la Grande Loge de France, et du Frère Dominique Losay, Premier Grand Maître Adjoint.
À l’heure où la République célèbre les cent-vingt ans de la loi de 1905, Valentine Zuber viendra méditer avec nous sur le thème « La laïcité, un principe de liberté ». Nous ne doutons pas que la librairie partenaire, Au bonheur des livres, voisine de notre Obédience, proposera l’ouvrage à la vente, et que son auteure, dans la ferveur fraternelle de cette soirée, y apposera sa signature.
Le culte des droits de l’homme
Mais avant que ne s’ouvrent les pages sous la plume de leur créatrice, il convient d’en sonder la profondeur dans l’esprit d’une lecture maçonnique, symbolique, vivante.Nous entrons dans ce livre comme l’on franchit le seuil d’un sanctuaire profane. Un temple sans dogme, mais traversé de valeurs cardinales. Dans Le Culte des droits de l’homme, Valentine Zuber nous guide au cœur d’un mystère moderne : la lente et profonde sacralisation d’un texte politique devenu l’Évangile laïque de la République. Loin d’une simple étude historique, ce travail, à la fois rigoureux et habité, révèle les linéaments d’une religion civile dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen forme le dogme central. Ce que le christianisme avait inscrit dans la personne du Verbe fait chair, la République l’a transmuté en droits universels – dans une alchimie silencieuse, opérée par la volonté de faire de l’Homme un absolu.
Valentine Zuber en 2017Valentine Zuber scrute ce déplacement du sacré avec la lucidité d’une veilleuse. Elle montre comment la République, se réclamant de la laïcité, a pourtant hérité des habits rituels du religieux : affichage de la Déclaration dans les lieux publics, panthéonisation des figures tutélaires, pédagogie républicaine en forme de catéchèse, commémorations périodiques en guise de solstices civiques. Une République initiée, en somme, qui a forgé ses mythes, ses textes sacrés, ses liturgies.
Nous ne sommes pas ici face à une thèse froide, mais sommes conviés à une méditation. L’ouvrage prend la forme d’un chant intérieur, grave et lumineux, traversé de silences et de fulgurances. Il résonne comme une longue procession laïque, où chaque chapitre est une station sur le chemin d’une foi sans transcendance divine, mais pétrie de valeurs transcendantes.
Car croire en l’Homme, nous dit Valentine Zuber, n’est jamais sans risque. Le culte, dès qu’il se fige, devient dogme ; la doctrine, lorsqu’elle ne s’interroge plus, devient exclusion. Le Temple devient alors citadelle. Et ceux qui ne parlent pas la langue canonique des droits peuvent se retrouver hors du chœur. C’est là que notre regard de Francs-Maçons s’éveille : car cette tension, entre idéal et dogmatisme, entre lumière et aveuglement, nous la connaissons. Ce texte, tout comme notre tradition, appelle à la vigilance, à l’esprit critique, à l’éveil permanent.
Le style de Valentine Zuber, limpide et habité, refuse la neutralité du savant détaché. Il vibre d’une conviction douce, celle que la connaissance peut désacraliser sans profaner, démystifier sans détruire. Elle écrit non pour imposer, mais pour éveiller. Elle ne juge pas ; elle éclaire. Et son ouvrage chemine, à l’image du Maçon entre les deux colonnes, dans l’équilibre fragile entre mémoire et discernement.Ce livre ne s’adresse pas seulement aux historiens de la République. Mais aussi à tout esprit en quête. Il offre une initiation à la lecture symbolique de nos rituels civiques, une exploration des fondements invisibles de notre foi en l’universel, une réflexion sur les mots que nous croyons évidents – « droits », « homme », « citoyen » – mais dont la densité spirituelle appelle toujours à être redécouverte.
La portée initiatique de cet essai est incontestable. Il nous invite à franchir les voiles de l’habitude pour contempler l’énigme vive d’un texte que nous croyions connaître. Il nous oblige à relier la pierre d’angle aux fondations, la lumière aux ténèbres, la Loi à l’Amour. Le Culte des droits de l’homme n’est pas un livre parmi d’autres. Il est un miroir. Et dans ce miroir, notre époque peut se contempler – non dans sa suffisance, mais dans sa soif, dans son désir inassouvi d’un sens plus grand.
Et nous, Francs-Maçons, reconnaissons dans cette œuvre le reflet de notre propre chemin : celui qui cherche à unir la raison et la transcendance, l’universel des droits à la singularité de la conscience éveillée. Ce livre nous appelle à ne pas fuir la modernité, mais à l’habiter pleinement, en gardiens lucides du feu sacré de l’humanité.
Gallimard, logoGallimard, coll. Bibliothèque des sciences humainesLe culte des droits de l’hommeValentine Zuber – Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2014, 416 pages, 26 €