L’ouvrage de Jean Dumonteil s’impose dès l’abord comme une
œuvre magistrale et incontournable dans le vaste corpus de la littérature maçonnique contemporaine. Il ne se limite pas à offrir un simple manuel destiné aux frères – mais aussi aux sœurs – cherchant à mieux appréhender les rouages de la fonction de Vénérable Maître, mais propose plutôt une
véritable exploration de la nature initiatique et spirituelle inhérente à cette charge, si haute dans la hiérarchie symbolique de la loge. Jean Dumonteil, à travers une prose fluide mais empreinte d’une profonde gravité, dissèque les multiples défis auxquels un Vénérable est confronté, tout en offrant une réflexion substantielle sur la véritable essence de l’autorité maçonnique.
Le texte s’ouvre sur un avant-propos qui introduit le lecteur directement dans
l’univers initiatique du rôle du Vénérable Maître. Dès les premières pages, Jean Dumonteil affirme sa place dans la lignée des grandes œuvres maçonniques qui s’attachent à la transmission d’un savoir sacré. Loin d’un simple mandat administratif, il dépeint la fonction comme une transition sacrée, un passage temporaire dans un ordre intemporel. Dans le premier chapitre
« Le Vénérable Maître en Chaire », l’auteur illustre précise qu’être Vénérable Maître est une responsabilité passagère, mais d’une intensité spirituelle incomparable, où l’autorité n’est que le vecteur de la transmission d’une tradition millénaire. Chaque Vénérable inscrit son action dans une chaîne initiatique, une continuité symbolique qui dépasse de loin la simple gestion des travaux maçonniques.
Le livre explore ensuite avec minutie les
différentes dimensions du rôle, en commençant par le chapitre « Vénérable Maître pour quoi faire ? », où Jean Dumonteil questionne les responsabilités concrètes et symboliques de cette fonction.
Il met en avant la profondeur du rôle à travers le prisme des relations du Vénérable avec les autres officiers de la Loge — Secrétaire, Orateur, Hospitalier, et bien sûr, le Couvreur. Ces relations ne sont pas de simples interactions fonctionnelles, mais des échanges tissés dans un équilibre symbolique, où chaque rôle incarne une facette du rituel. L’auteur souligne également la nécessité de l’esprit collectif, rappelant que le Vénérable Maître ne peut jamais agir seul. Cette fraternité active, encapsulée dans le leitmotiv “Seuls, nous ne pouvons rien”, constitue le cœur de la pensée de Dumonteil, qui appelle à une concertation harmonieuse entre tous les Frères, sous la houlette d’un Maître bienveillant et avisé.
Le processus d’élection et d’installation du Vénérable Maître, moments clefs dans la vie d’une Loge, est traité avec une gravité particulière. Jean Dumonteil consacre tout un chapitre à ces rites, non seulement pour en détailler les aspects pratiques, mais aussi pour en dévoiler la profondeur initiatique. La
question des critères d’éligibilité à la charge de Vénérable Maître n’est pas simplement celle de la compétence ou de l’expérience ; elle touche à la dignité initiatique, à la capacité du Frère élu à prendre en charge le dépôt sacré des savoirs maçonniques. Le Vénérable n’est pas seulement un gestionnaire : il est celui qui doit guider la loge dans sa quête de lumière spirituelle.
Le chapitre sur «
Le symbolisme de la fonction, par l’équerre, le maillet et l’épée flamboyante » apporte une lecture approfondie des outils symboliques qui sont au cœur de l’autorité du Vénérable Maître. L’équerre et le maillet, objets bien connus des initiés, y sont redéfinis dans leur fonction non seulement de rigueur et de discipline, mais aussi d’harmonie dans la construction symbolique de la Loge.
L’épée flamboyante, symbole de l’autorité spirituelle du Vénérable, est décrite comme un guide lumineux, une force inspiratrice pour les Frères dans leur cheminement initiatique. En s’appuyant sur différents rites, comme le Rite écossais rectifié ou le Rite français, Dumonteil montre comment ces outils transcendent les différences de pratique pour incarner l’unité fondamentale de la quête maçonnique.
Le chapitre «
Le Vénérable Maître et la Loge » est peut-être
l’un des passages les plus denses de l’ouvrage. Dumonteil y développe une vision complexe et nuancée du Vénérable Maître en tant que gardien du temps et garant de la qualité des rituels. Il y est décrit comme celui qui veille non seulement à la pureté des cérémonies, mais aussi à la transmission du patrimoine symbolique et spirituel de la franc-maçonnerie. La chaîne d’union, ce lien fraternel qui traverse le temps et l’espace, est évoquée comme le cœur vibrant de la loge, et c’est au Vénérable qu’il incombe de maintenir ce lien vivant et fort.
Jean Dumonteil ne néglige pas pour autant la dimension plus administrative de la fonction, qu’il aborde dans « Le Vénérable Maître en dehors des tenues de Loge ». Il souligne ici que la responsabilité du Vénérable dépasse les murs du Temple. Ce dernier doit gérer les relations avec les anciens membres, organiser des événements, et s’assurer de l’ouverture de la loge vers le monde profane.
Cette vision globale de la fonction montre que le Vénérable n’est pas seulement un initiateur, mais également un gestionnaire communautaire, garant de la cohésion fraternelle.
Le dernier volet du livre, consacré au Couvreur, illustre avec finesse l’importance de cette fonction souvent méconnue mais cruciale. Le
Couvreur, humble gardien des mystères, est décrit comme un protecteur silencieux des travaux de la Loge, veillant à ce que le sacré soit préservé de toute intrusion profane. Le chapitre « Le Couvreur, humble gardien de la Loge » est un hommage discret mais puissant à cet acteur de l’ombre, dont le rôle est essentiel à la préservation de l’intégrité des travaux maçonniques.
Ce qui rend l’ouvrage si singulier, c’est son caractère profondément initiatique. Jean Dumonteil ne se contente pas d’offrir un manuel pratique ; il invite le lecteur à une immersion dans l’essence même de la franc-maçonnerie, à un voyage spirituel à travers les différentes fonctions et symboles qui la composent.
Il rappelle avec force que chaque geste, chaque office, chaque cérémonie dans la Loge participe à une œuvre bien plus vaste de perfectionnement intérieur, dont la finalité est l’éveil spirituel.
L’ajout de « L’office de Couvreur » en sous-titre enrichit l’ouvrage d’une perspective nouvelle, révélant que même les fonctions les plus techniques de la loge, comme celle du Couvreur, participent pleinement à la dimension spirituelle et symbolique du travail maçonnique. Ce second volet permet à Jean Dumonteil d’explorer une autre facette de l’organisation maçonnique, où chaque fonction contribue à l’harmonie du tout.
Jean Dumonteil parvient à maintenir un équilibre subtil entre une prose accessible et une réflexion dense, pleine de nuances.
Son langage est à la fois poétique et précis, respectueux des mystères tout en offrant des éclairages limpides sur la pratique maçonnique. Cette prose fluide est le reflet de son expérience en tant que Vénérable Maître, mais aussi de sa volonté de rendre la maçonnerie intelligible tout en en conservant la profondeur et la beauté initiatique.
Jean Dumonteil, essayiste, éditeur et Vénérable Maître de la Loge nationale de recherche de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française (GL-AMF), apparaît comme une figure centrale du paysage maçonnique actuel. Son œuvre, nourrie de sa pratique et de sa connaissance approfondie de l’histoire et des rituels maçonniques, s’inscrit dans une tradition de transmission qui remonte aux origines mêmes de la franc-maçonnerie.
Le Vénérable Maître en chaire suivi de L’office de Couvreur est bien plus qu’un guide pour les Maîtres de loge. Il est une œuvre didactique et initiatique, une clé précieuse pour comprendre les arcanes symboliques de l’institution maçonnique. Par cette réflexion profonde et cet appel à la transformation intérieure, Jean Dumonteil rappelle que
la fonction de Vénérable est avant tout un voyage spirituel, une quête de sagesse qui engage celui qui la porte à devenir un passeur, un guide et un gardien de la tradition maçonnique.
Le Vénérable Maître en chaire suivi de L’office de Couvreur
Jean Dumonteil
Numérilivre, Coll. À sa place et à son office, 2024, 120 pages, 20 € 
