Il est des ouvrages qui s’offrent comme des miroirs d’un temps révolu, et d’autres qui, tout en portant l’empreinte d’une époque, s’affirment comme des
passerelles vers l’intemporel.
Le Livre de la fontaine périlleuse, attribué à
l’humaniste italien Mario Equicola (
c.1470-1525) et
revêtu des gloses de Jacques Gohory, appartient indubitablement à cette seconde catégorie. Publié pour la première fois en
1572, ce texte alchimique et mystique s’inscrit dans la lignée des œuvres hermétiques qui, sous le voile du langage symbolique, déploient une quête de la connaissance transcendante.
La récente réimpression de ce livre par Amici Librorum (2024) nous invite à revisiter un univers de correspondances et d’allégories, où la nature, le langage et l’homme ne sont que les reflets d’une même réalité voilée. L’initiation qu’il propose n’est pas seulement celle du laboratoire alchimique, mais bien celle de l’esprit qui, à travers l’épreuve, le doute et l’illumination, s’approche de la vérité cachée.
Le nom de Jacques Gohory brille dans l’histoire des savoirs occultes du XVIe siècle. Homme de science et de lettres, il fut un avocat du Grand Siècle avant de s’adonner aux disciplines hermétiques. En
alchimiste et médecin, il sillonna les contrées du mystère, s’initiant aux arcanes de la transmutation et de la guérison. Ses écrits traduisent cette soif de comprendre et de transmuer les savoirs antiques en un langage accessible aux initiés de son temps.
La traduction et l’interprétation qu’il donne du texte de Mario Equicola s’inscrit dans cette démarche. Il ne s’agit pas tant d’une simple restitution littérale que d’un travail de transmutation textuelle, où la
sténographie hermétique devient un mode d’expression du caché. Son regard transforme l’ouvrage original en une étape sur le chemin initiatique : à travers les épreuves de la
Fontaine périlleuse,
l’adepte est convié à franchir un seuil, à abandonner ses certitudes pour accéder à une réalité sublimée.
Le titre même de l’ouvrage annonce le défi qu’il contient : une
fontaine périlleuse où l’initié est convié à s’abreuver, mais non sans danger. On reconnaît là une métaphore alchimique forte : celle de l’eau dissolvante, du mercure philosophal qui, bien employé, permet la renaissance de l’adepte, mais qui, mal manié, peut se transformer en poison. Cette symbolique de la dissolution et de la recomposition traverse l’ouvrage, offrant une lecture double, à la fois hermétique et spirituelle.
L’héritage platonicien et ficinien d’Equicola transparaît également dans ces pages. La
Chartre d’amours, qui accompagne le texte principal, s’inscrit dans la tradition du
Banquet de Platon et de la métaphysique amoureuse de Marsile Ficin. L’amour y est conçu comme une force ascendante, qui élève l’initié du sensible à l’intelligible, de l’illusion à la lumière.
Pour le lecteur Maçon, l’ouvrage se prête à une lecture qui dépasse largement le cadre de l’alchimie opérative. Il s’agit d’
un itinéraire, d’une quête de la lumière, d’un parcours où la matière et l’esprit s’unissent pour accéder à un niveau supérieur d’intelligence du monde. Le
Songe du Verger, autre titre donné à cet ouvrage, révèle par ailleurs un aspect onirique et symbolique qui n’est pas sans rappeler le parcours du cherchant dans la voie initiatique.
La construction symbolique du texte évoque ainsi les épreuves successives du rituel initiatique, où le candidat doit traverser des étapes de doute et de dépouillement avant d’accéder à un savoir transmuté.
L’eau de la fontaine, tout comme les étapes du Grand Œuvre, rappelle la nécessité de la purification avant l’illumination. C’est là un enseignement que la franc-maçonnerie continue de porter, sous ses formes symboliques, morales et spirituelles.
Cette réimpression de
La Fontaine périlleuse permet de remettre en lumière un texte peu connu mais essentiel pour qui s’intéresse aux traditions hermétiques et initiatiques de la Renaissance. Loin d’un simple témoignage historique, il demeure un guide voilé pour celui qui sait le lire avec les yeux de l’initié. Qu’on le considère sous son
angle alchimique, philosophique ou maçonnique, il s’offre comme une invitation à la transformation intérieure, rappelant que toute quête de vérité commence par la mise à l’épreuve du regard que l’on porte sur le monde.
Livre de la fontaine périlleuse, avec la chartre d’amours, autrement intitulé le Songe du Verger
Mario Equicola – Jacques Gohory – Amici Librorum, 2024, 116 pages, 20 €