Il est des livres qui s’ouvrent comme des portes sur un ailleurs insoupçonné, des seuils d’ombre et de lumière où l’investigation rationnelle se fond dans une quête plus haute, plus intime, plus abyssale.
Un si long hiver de Michel Auzas-Mille est de ceux-là.
Sous les atours d’un conte alchimique, il tisse une énigme policière où les ruelles du Paris hermétique deviennent le théâtre d’un drame initiatique. Entre la Tour Saint-Jacques et l’ombre de
Nicolas Flamel (1330-1418), célèbre alchimiste et libraire parisien, le roman se fait réceptacle d’un savoir ancien, une invitation à descendre en soi-même pour y sonder les mystères enfouis.

Dès les premières pages, le lecteur est happé par l’étrangeté d’un fait divers :
trois cadavres gisent, consumés de l’intérieur, dans le square Saint-Jacques. Des corbeaux les entourent, sentinelles d’un secret millénaire. Le commissaire Rouault et le lieutenant Samuel, figures d’un ordre rationnel confronté à l’indicible, se lancent dans une enquête qui, peu à peu, les mènera bien au-delà des apparences. L’auteur, avec une plume précise et imagée, noue les fils de son intrigue autour d’une réalité fuyante, celle des symboles qui se superposent au réel comme une trame cachée. Car c’est bien d’un
Paris occulte qu’il est question ici, où chaque pierre semble bruire d’un savoir oublié, où les ruines des églises et les échos des initiés du passé continuent d’imprégner le présent.
Au fil des investigations, les figures de Nicolas Flamel et de
Dame Pernelle (1320-1397), son épouse et protectrice de son œuvre, surgissent de la nuit des siècles. Non pas comme des spectres du passé, mais comme des présences encore actives dans le grand théâtre de la matière et de l’esprit. Michel Auzas-Mille ne se contente pas de faire de l’alchimie un simple décor ou un folklore hermétique : il en épouse les contours, il en restitue l’essence.
La recherche de la pierre philosophale, loin d’être une quête matérielle, se révèle un chemin de transmutation intérieure, un long hiver où l’âme doit mourir pour renaître. Dans cette perspective, l’auteur inscrit son récit dans la lignée des grandes fictions initiatiques, où le polar n’est qu’un prétexte à une quête plus essentielle.

L’architecture même du texte est signifiante. La narration, fragmentée, semble mimer la progression d’un rituel, chaque étape de l’enquête correspondant à un degré de compréhension plus profond. L’ambiance se fait de plus en plus dense, presque suffocante, à mesure que les enquêteurs se rapprochent du centre de l’énigme. Il y a là une maîtrise du rythme et du non-dit qui confère au texte une puissance évocatrice rare. Chaque dialogue, chaque description semble posséder une double lecture, un palimpseste où se superposent le visible et l’invisible. Il faut savoir lire entre les lignes, accepter de se perdre pour mieux comprendre.
La présence du
VITRIOL, cette injonction alchimique gravée en lettres de feu sur l’ouvrage, en dit long sur la structure souterraine du roman. «
Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem » – Descends en toi-même, purifie-toi et tu trouveras la pierre cachée. C’est là l’axe central du récit, le mouvement initiatique qui s’offre à tout lecteur prêt à s’abandonner à la lecture comme on s’abandonne à une méditation. L’œuvre est aussi un miroir tendu au lecteur, une invitation à descendre dans sa propre nuit pour y retrouver la lumière.
Michel Auzas-Mille, écrivain, peintre et illustrateur, n’en est pas à son premier voyage au cœur du symbolisme. Son œuvre est marquée du sceau des traditions hermétiques, du tarot, de l’iconographie sacrée. Depuis plus de cinquante ans, il creuse le sillon d’une écriture où l’image et le verbe s’entrelacent pour ouvrir des portes. De
Peau d’Amour, son recueil poétique initial publié en 1976, à, en 2019,
Aset l’Égyptienne – Par-delà les Portes du Temps, son conte hermétique, il poursuit un chemin de quêteur d’absolu, en explorant inlassablement les formes du sacré et de l’imaginaire.
Un si long hiver s’inscrit pleinement dans cette démarche, avec cette tension entre le visible et l’invisible qui caractérise ses travaux.

Il faut lire
Un si long hiver non pas comme un simple roman, mais comme un
grimoire moderne, un livre qui ne se contente pas de raconter une histoire mais qui agit. Son alchimie opère lentement, distillant ses effets bien après la lecture. Il est de ces ouvrages qui laissent en nous une empreinte, une question lancinante, un feu discret mais tenace. Peut-être parce qu’il touche à ce qui ne se dit pas, à ce qui ne se dévoile qu’aux âmes patientes et aux esprits en veille.
Un livre-laboratoire, un livre-philosophe, qui appelle à un lent mûrissement intérieur. Une œuvre dont l’hiver n’est qu’une promesse de renouveau.
Un si long hiver – conte alchimique
Michel Auzas-Mille – Éditions Maïa, coll. Regards noirs, 2024, 122 pages, 18 €